Légitimité professionnelle et violence symbolique : des femmes aux enfants, un continuum préoccupant
Quand l’expertise est niée et les états d’âme des enfants ignorés : plongez dans une réflexion sur la violence symbolique exercée envers les femmes et les enfants, et découvrez pourquoi il est urgent de reconnaître les compétences féminines et la pleine humanité des plus jeunes pour construire une société plus juste.
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Pierre Bourdieu définit la violence symbolique comme une domination exercée non par la force physique, mais par des mécanismes subtils de dévalorisation et de disqualification (Bourdieu, 1998). Dans mon cas, cette violence s’exprime par la manière dont un homme, dépourvu de qualifications dans mon domaine, se sent autorisé à juger mon expertise. Une étude de Ridgeway et Correll (2004) souligne que les biais de genre persistent, même dans des contextes professionnels où les femmes détiennent une expertise supérieure. Ces comportements ne relèvent pas d’une simple incivilité : ils traduisent un rapport de pouvoir où le genre féminin est perçu comme intrinsèquement moins compétent.
De plus, la pratique de l’intimidation ou du refus de payer une consultation constitue une stratégie claire de disqualification, visant à nier la légitimité de la professionnelle dans son propre espace. Ces attitudes sont le reflet d’une résistance face à l’autorité féminine, particulièrement lorsque cette autorité remet en cause les croyances patriarcales.
Violence symbolique et remise en cause de l’expertise féminine
Dans ma pratique de psychopédagogue, je rencontre des familles avec des enjeux complexes qui nécessitent des décisions éclairées et éthiques. Pourtant, il m’arrive de me heurter à des attitudes profondément déroutantes et révélatrices des violences symboliques encore omniprésentes dans nos sociétés. Dernièrement, un père est entré dans mon cabinet et, en l’espace de quelques minutes, s’est permis de remettre en cause ma légitimité, de m’intimider et de m’insulter simplement parce que mes recommandations éducatives, fondées sur des données scientifiques, allaient à l’encontre de ses croyances personnelles.
Cette expérience, bien que choquante, n’est pas un incident isolé. Elle s’inscrit dans une dynamique systémique où l’expertise des femmes, particulièrement dans les domaines liés à l’enfance et à l’éducation, est régulièrement dévalorisée. Pire encore, elle reflète un modèle où les adultes, et notamment les figures masculines, ne reconnaissent ni les compétences des professionnelles ni les états mentaux des enfants.


Légitimité professionnelle et violence symbolique : des femmes aux enfants, un continuum préoccupant
Une violence systémique : des femmes aux enfants
Cette remise en question de la légitimité ne se limite pas aux professionnelles. Elle touche également un groupe encore plus vulnérable : les enfants. Dans ma pratique, je constate une violence symbolique quotidienne qui s’exerce à leur égard, souvent sous couvert de discipline ou de rationalité parentale. Les états mentaux des enfants – leurs émotions, leurs besoins et leurs ressentis – sont régulièrement ignorés, voire niés.
Selon Fonagy et Target (1997), la reconnaissance des états mentaux des enfants, appelée mentalisation, est cruciale pour leur développement émotionnel et relationnel. Or, certains parents, souvent influencés par des schémas éducatifs rigides ou des croyances personnelles, interprètent systématiquement les comportements émotionnels des enfants comme des tentatives de manipulation. Cette perception, bien qu’erronée, est fréquemment renforcée par des dynamiques de genre, où les pères, en particulier, tendent à minimiser ou à pathologiser les expressions émotionnelles de leurs enfants. Une étude de Bretherton (2010) sur les attachements familiaux montre que cette attitude peut avoir des répercussions graves sur l’attachement sécurisant et le développement socio-affectif des enfants.
Une ouverture nécessaire : Redéfinir la reconnaissance mutuelle
Face à ces formes de violences symboliques, qu’elles s’adressent aux femmes ou aux enfants, une réponse systémique est nécessaire. Les solutions ne peuvent se limiter à des initiatives individuelles ; elles doivent inclure des changements structurels et éducatifs.
Revaloriser l’expertise éducative et psychologique : Sensibiliser les familles et le grand public à l’importance des disciplines de l’éducation et de la psychologie est indispensable pour contrer les biais de genre et de statut.
Former les parents à la reconnaissance des états mentaux des enfants : Les programmes de formation parentale, tels que ceux basés sur la théorie de l’attachement ou la mentalisation (Bateman & Fonagy, 2012), offrent des outils essentiels pour comprendre et valoriser les besoins émotionnels des enfants.
Développer des recours légaux et éthiques : Renforcer les protections des professionnelles face aux violences verbales et symboliques, notamment en mettant en place des mécanismes de médiation ou des sanctions adaptées.
Oui, cette expérience me met en colère. Mais cette colère est aussi le reflet d’un engagement profond pour des valeurs d’égalité, de respect et de justice. Elle me rappelle l’urgence de sensibiliser les familles à ces formes de violences symboliques, qu’elles touchent les femmes ou les enfants, afin de construire une société où les relations sont fondées sur la reconnaissance mutuelle et non sur la domination.
Enfin, en tant que professionnelle, je ne peux m’empêcher de souligner combien il est crucial de reconnaître les enfants dans leur pleine humanité. Les nier, c’est leur infliger une violence invisible mais dévastatrice. La valorisation des états mentaux des enfants doit devenir une priorité éducative, car c’est en leur offrant ce respect fondamental que nous construirons des adultes plus empathiques et plus équilibrés.
Une colère légitime, et un espoir de transformation


Pour approfondir ces thématiques
Sur la violence symbolique et les rapports de pouvoir
Bourdieu, P. (1998). La domination masculine. Paris : Éditions du Seuil.
→ Un ouvrage fondateur sur les mécanismes de domination masculine dans les structures sociales, y compris au travail.Ridgeway, C. L., & Correll, S. J. (2004). "Unpacking the Gender System: A Theoretical Perspective on Gender Beliefs and Social Relations." Gender & Society, 18(4), 510-531.
→ Étude analysant les croyances de genre comme une source de hiérarchisation et de disqualification dans les interactions sociales.Fraser, N. (1995). "From Redistribution to Recognition? Dilemmas of Justice in a 'Post-Socialist' Age." New Left Review, 212, 68-93.
→ Une réflexion sur la reconnaissance comme élément central de la justice sociale, en complément des luttes pour la redistribution.
Sur la légitimité des femmes dans les professions intellectuelles
Hooks, B. (2000). Feminism is for Everybody: Passionate Politics. Cambridge : South End Press.
→ Un texte clair et accessible sur les objectifs du féminisme, applicable à de nombreux contextes, y compris professionnels.Delphy, C. (2001). L'ennemi principal : Économie politique du patriarcat. Paris : Éditions Syllepse.
→ Une analyse des rapports de pouvoir patriarcaux et de leur impact sur les sphères privées et publiques.Beauvoir, S. de. (1949). Le deuxième sexe. Paris : Gallimard.
→ Un classique incontournable pour comprendre les fondements théoriques du féminisme et l'exclusion des femmes des sphères d'autorité.
Sur la reconnaissance des états mentaux des enfants
Fonagy, P., & Target, M. (1997). "Attachment and Reflective Function: Their Role in Self-Organization." Development and Psychopathology, 9(4), 679-700.
→ Une étude sur l’importance de la mentalisation dans le développement émotionnel et relationnel des enfants.Bateman, A. W., & Fonagy, P. (2012). Handbook of Mentalizing in Mental Health Practice. Arlington : American Psychiatric Publishing.
→ Un manuel détaillant l’importance de la mentalisation dans la relation parent-enfant et les interventions thérapeutiques.Bowlby, J. (1982). Attachment and Loss. Vol. 1: Attachment. New York : Basic Books.
→ Le texte fondateur sur l'attachement et l'importance de répondre aux besoins émotionnels des enfants.